16 août 2017

L'Antarctique probablement plus volcanique que prévu

Je vous indiquais il y a peu qu'il n'était pas possible à ce jour de compter le nombre exact d'édifices volcaniques terrestres actifs, étant donné que la majeure partie se trouve sous les océans. Mais une équipe de chercheurs vient de publier un article indiquant que 91 nouveaux édifices, actifs ou non, ont probablement été découverts sous les glaces Antarctiques. Pourquoi "probablement"? Parce que rien n'est jamais très simple et que l'évidence n'a pas vraiment sa place en sciences.
La découverte est très interessante et se fonde sur un travail d'analyse de morphologies, de formes, "vues" via le résultat de sondages effectués grâce à des ondes radar capables de traverser le manteau de glace qui recouvre le continent Antarctique.

A cause de sa couverture de glaces permanentes, ce continent est le moins connu mais une topographie de sa surface rocheuse a pu être reconstitué grâce à la compilation, par le British Antarctic Survey, de données issues de plusieurs organisations de différentes nationalités, qui avaient collecté des données sur l'Antarctique. L'un des éléments clés de la constitution de cette base de données est l'opération IceBridge de la NASA: pendant 6 années des survols ont été effectués au-dessus de zones non étudiées de l'Antarctique, au cours desquels un radar embarqué a pu cartographier le plancher rocheux sur lequel est posée la glace. Cela a conduit à l'élaboration de la base données Bedmap2, la plus précise à ce jour en ce qui concerne ce continent gelé et inhospitalier.

L'étude, menée par Maximillian Van Vyk de Vries de la School of GeoSciences (Université d'Edinburgh), concerne plus particulièrement le Rift Ouest Antarctique, où une activité sismique et un soupçon d'activité volcanique sous-glaciaire avait émergé en 2013. C'est aussi une zone où du volcanisme récent existe puisque plusieurs édifices y sont répertoriés au Global Volcanism Program  (Takahe, Hudson Mountains, Berlin, Erebus par exemple). 
Le Rift Ouest Antarctique est le résultat d'une phase importante d'écartement de plaques ("rifting"), similaire en dimensions au Rift Est Africain, et où le flux géothermal semble très intense, d'après une étude publiée en 2014*: il n'est donc pas anormal d'y trouver du volcanisme actif. Oui, mais combien y a -t-il exactement d'édifices dans cette zone? Aucune estimation ne pouvait être faite sans l'exploitation de cette base de données Bedmap2.
Localisation des 138 nouveaux volcans potentiels dans le Rift Ouest Antarctique, et leur indice de confiance (voir plus bas dans l'article). Image extraite de M.V.W.de Vries et al, 2017
Certes, mais comment fait-on pour voir des volcans sous la glace? Ce n'est pas une chose tout à fait évidente en réalité.
Tout d'abord il ne faut pas perdre de vue que ce qu'ont vu les chercheurs, ce sont les échos des ondes radars renvoyés par le substrat rocheux. Cela donne une image de la topographie, des reliefs: mais comment repérer ce qui peut être ou non un volcan?
Les échos radars correspondent à des pics ("cones") sur la base de donnée Bedmaps2. Notez que les échelles horizontales et verticales sont différentes: les pics sont en faits des reliefs très étalés. Image extraite de l'article de M.V.W.de Vries et al, 2017
Tout d'abords il faut garder à l'idée que la morphologie d'un édifice volcanique est le résultat de plusieurs choses:
- le type de magma qui est émis et qui construit l'édifice éruption après éruption. En ce qui concerne les édifices polygéniques** les volcans boucliers, constitués en quasi totalité par l'émission de magmas fluides, ont des formes très aplanies, alors que les stratovolcans (ou stratocônes), résultats d'éruptions de magmas globalement plus visqueux, ont des pentes plus fortes. Du côté des monogéniques*** l’émission de magmas fluides construit les cônes et leurs coulées, les magmas plus visqueux peuvent former des coulées mais surtout des dômes associés souvent à une activité explosive puissante.
- l'environnement tectonique: dans les zones de rifting, où l’écartement des plaques se traduit par de longs réseaux de failles et de fractures parallèles, les éruptions se font le long de ces  fractures: il en résulte des édifices allongés et pas circulaires. C'est le cas de l'Erta Ale en Ethiopie, par exemple.

- la présence de glace, qui modifie la manière dont une lave est émise, s'écoule et s'accumule.... donc la manière dont elle fabrique le volcan...donc la forme du volcan lui-même. Il existe ainsi des morphologies de volcans caractéristiques des zones glaciaires: Tuyas et Tindars pour la plupart. Les Tuyas sont des édifices qui se forment à un endroit particulier, un peu comme les stratovolcans, mais sous la glace, alors que les Tindars ont des morphologies allongées et correspondent à des éruptions fissurales qui se sont produites sous la glace.

Tout cela pour dire que, pour identifier la présence d'édifices sous la glace, mieux vaut connaitre un peu la forme des édifices volcaniques dans des contextes similaires, ici un rifting important, et sous glaciaire: à priori on ne s'attend pas à trouver en grande quantité des morphologies de stratocônes comme le Mayon (Philippines) ou le Mont Hood (Etats-Unis).

Le problème c'est que la base de données bedmap2, qui est la meilleure à ce jour, possède aussi des défauts. Du fait de la diversité des sources utilisées, de résolutions différentes, et des opérations mathématiques nécessaires à leur association, sa précision a ses limites et les chercheurs ont donc dû mettre en place une série de critères objectifs leur permettant d'éliminer les artefacts de la base données.
Le premier d'entre est la forme globale des objets repérés sur la base de données: ils ont appelé "cône", sans préjuger de la nature volcanique ou non dudit "cône", tout objet 1.5x plus long que large. Ils n'ont ensuite pris en compte que les objets plus hauts que 100 m, afin d'éviter de prendre en compte des objets trop petits, qui auraient pu être des artefacts dûs à la faible résolution de la base de données, et aux opérations mathématiques effectuées pour la compilation des diverses sources utilisées pour la produire.
Ils ont ensuite mis en place des points de contrôle qui donnent un "note de confiance" dans le fait que les "cônes" sont de nature volcanique, les principaux sont:
- la présence d'une anomalie magnétique concentrique autour du "cône, car la présence de roches volcaniques et magmatiques, notamment des coulées de lave (sous forme de pillow-lava dans ce type de contexte glaciaire) de par leur composition (présence de métaux notamment), peuvent provoquer de telles anomalies.
- la présence d'une anomalie de gravité associée aux "cônes", car les roches volcaniques et magmatiques induisent souvent de telles anomalies, du fait de leur densité plus élevées.
- la présence d'un relief à la surface de la calotte glaciaire au-dessus des "cônes": comme un gros cailloux forme une bosse à la surface du cours d'eau qui passe dessus, l'écoulement des glaces antarctiques sur ces "cônes" forme un bombement de la surface de la calotte. Cela permet d'être sûr qu'il ne s'agit pas d'un artefact notamment, qu'il y a bien un relief sous la calotte.

D'autres points de contrôle concernent plus la base de données et permettent de diminuer le risque de confondre un artefact avec un vrai relief sous glaciaire.
178 de ces "cônes" ont été identifiés mais seulement 138 d'entre eux ont obtenu un indice de confiance supérieur à 3 (sur une échelle de 5), dont 47 (actifs ou non) déjà connus et qui servent de "test de fiabilité" pour l'indice de confiance. L'analyse morphomètrique, qui consiste à comparer les caractéristiques de la forme des cônes trouvés, permet de constater qu'ils ressemblent à des volcans-boucliers, comme le Kilauea ou l'Erta Ale, volcans qu'on peut trouver aussi bien en contexte de point chaud qu'en contexte de Rifting, comme c'est le cas du Rift Ouest Antarctique.

En haut, la morphologie de trois des cônes repérés sous la glace par les chercheurs, en bas trois volcans-boucliers connus: la concordance est bonne. Image: M.V.W.de Vries et al, 2017


Pour être clair: personne ne peut dire avec certitude que les 138 reliefs identifiés sont bel et bien des volcans, et d'ailleurs les auteurs de l'article l'expriment  par des tournures de phrase sans ambiguïté ("We have identified at least 138 likely volcanic edifices " / "Nous avons identifié 138 probables volcans"). Mais il est clair que:
- le contexte géologique (rift) est propice à la présence de nombreux et volumineux édifices volcaniques
- la présence de certains édifices volcaniques connus et actifs dans le secteurs augmente nettement la probabilité de la présence d'autres volcans.
- la morphologie des édifices détectée est compatible avec la morphologie des édifices connus dans des contextes géologiques similaires (volcans boucliers).
- La présence d'anomalie magnétiques et gravitaires est compatible avec la présence de reliefs d'origine volcanique.
C'est ce recoupement d'éléments qui permet d'annoncer la probable découverte de nombreux nouveaux édifices, 91 de plus que les 47 (actifs ou non) déjà connus.

Mais attention: il n'est pas possible aux chercheurs d'identifier, parmi ces 91 nouveaux venus ceux qui sont actifs ou non, c'est-à-dire ceux qui peuvent ou non être le siège de nouvelles éruptions. Ils ne sont donc pas près d'apparaitre au Global Volcanism Program.

Mais peu importe car rendre plus précise la topographie du substrat rocheux à une autre implication, fondamentale dans la compréhension de l'Antarctiqueet de l'évolution de sa couverture de glace. En effet une calotte glaciaire n'est pas un objet statique mais extrêmement dynamique, soumise à un écoulement lent sous l'effet de sa masse, de son poids. Cet écoulement peut être favorisé, fluidifié, par exemple par la présence d'une semelle d'eau de fonte entre la roche et la glace, ce qui accélère l'écoulement. Mais il peut être freiné par la topographie du substrat rocheux: plus il est lisse plus l'écoulement est facilité, mais plus il est accidenté ("rugueux") plus l'écoulement est freiné. Ainsi, que les reliefs découverts soient ou non volcaniques permet quoi qu'il arrive d'affiner les modèles qui concernent les mouvements des glaces de l'Antarctique.

Source : "A new volcanic province: an inventory of subglacial volcanoes in West Antarctica", M.V.W.de Vries et al, 2017, Geological Society of London.

* "Evidence for elevated and spatially variable geothermal flux beneath the West Antarctic Ice Sheet", D.Shroeder et al, 2014, PNAS

** "ceux qui sont construits par plusieurs éruptions" et pas "ceux qui font éruption plusieurs fois" comme on peut le lire souvent.
*** "ceux qui sont construits par une éruption" et pas "ceux qui ne font éruption qu'une fois" comme on peut le lire souvent.

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